Maladies vectorielles
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : PAR TANIT HALFON
Chez le chat, la leishmaniose peut se manifester par des lésions cutanées, associées ou pas à des signes généraux.
La leishmaniose ne touche pas que l’espèce canine. Des cas chez le chat ont été rapportés, y compris en France, principalement en zone endémique de leishmaniose canine et humaine. Dans la littérature, les descriptions de cas sont en hausse, y compris en zone non endémique. Diagnostiquer la leishmaniose féline est toutefois complexe: les signes peuvent être variés et non spécifiques. Le plus souvent la clinique serait fruste à absente. Lessignes les plus communément rapportés sont cutanés ou cutanéomuqueux, associés à une adénomégalie. Une étude italienne1 publiée récemment s’est attelée à les répertorier dans le cadre d’une revue systématique de la littérature sur une période allant de 1990 à 2020. 66 cas cliniques ont été passés en revue. La majorité d’entre eux concernent l’Amérique du sud (56%), suivi de l’Europe (35%) et de l’Amérique du nord (9%). En Europe, les cas concernent l’Espagne (9), le Portugal (5), l’Italie (4), la France (3), la Suisse (1) et le Royaume-Uni (1).
L.infantum associée à des signes cutanés et généraux
Les nodules sont les lésions les plus fréquemment rapportées (73% des cas). Ces nodules peuvent être intacts ou ulcérés, uniques (48%) ou multiples (52%). Viennent ensuite les lésions ulcéreuses ou croûteuses (36%), alopéciques (9%) et squameuses (8%). 75% des animaux ne présentent qu’un seul type de lésion. Elles sont le plus fréquemment localisées sur la tête (91%), notamment le nez (61%), les oreilles (42%) et les paupières (17%), et les membres (30%). Plus de la moitié des cas (62%) ne présentent que des signes cutanés. Pour les 25 chats restants, il est rapporté d’autres signes généraux (oculaires en particulier). L’espèce de Leishmania impliquée n’a été déterminée que pour 44 cas. 14 d’entre eux sont associés à L.infantum, qui est l’espèce d’intérêt en Europe et en France. Dans cette étude, tous les cas européens pour lesquels le parasite avait été identifié étaient associés à L.infantum. La majorité de ces 14 chats présentaient à la fois des signes cutanés, les lésions nodulaires étant les plus fréquentes, et des signes généraux. Outre-Atlantique, d’autres espèces de Leishmania pouvaient être en cause, L.mexicana étant la plus fréquente.
Penser à la cytologie
La présence de co-infections a été explorée dans 50% des cas. Parmi eux, 70% (23 chats) étaient négatifs pour le FIV/FeLV, 12% (4) étaient positifs au FIV et 9% (3) positifs pour les deux. Un cas est aussi revenu positif pour Toxoplasma, un autre pour PIF et un dernier pour Hepatozoon felis et Candidatus Mycoplasma haemominutum. Pour les auteurs, la présence de co-infections (FIV, FeLV) doit toujours être explorée car elles peuvent aggraver la clinique et compromettre le pronostic. Sur 49 chats ayant fait l’objet d’un examen cytologique (observation des amastigotes), 46 ont pu être diagnostiqués. Parmi eux, 35 présentaient des lésions nodulaires, qui ont fait l’objet d’une cytoponction à l’aiguille fine, et 11 des dermatites ulcérative, alopécique et exfoliative, examinées par calque. Les autres examens complémentaires employés sont l’histologie, l’immunohistochimie et le test PCR. Un arbre décisionnel est disponible dans l’étude pour appuyer le praticien dans sa démarche diagnostique: quelles que soient les lésions observées, la cytologie est l’examen à envisager en première intention pour la leishmaniose.
Questions à Patrick Bourdeau (DMV, Dipl. EVPC et ECVD), spécialiste en dermatologie vétérinaire, professeur agrégé
Quand suspecter une leishmaniose féline à L.infantum?
En zone d’endémicité, de nombreux chats peuvent être infectés et la maladie ne pas s’exprimer. S’agissant de L. infantum, une majorité des cas décrits fait état de signes cutanés, surtout des petit* nodules ou ulcères siégeant principalement, mais non exclusivement, sur la tête. Comme chez le chien, les signes cutanés sont souvent le motif de la consultation. On pourra la suspecter aussi lors d’anémie non régénérative, parfoispancytopénie ou, comme chez le chien, lors dedécouverte d’une hypergammaglobulinémie (avec parfois hypoalbuminémie) ou encore une protéinurie rénale avec créatininémie augmentée. Il y a aussi des atteintes oculaires de type uvéite. Une polyadénomégalie peut être associée.
Étant donné qu’aucun signen’est spécifique, la suspicion est beaucoup plus difficile hors zone d’endémie sauf sur des chats y ayant vécu préalablement. La leishmaniose intervient alors en dernier lieu dans un diagnostic différentiel.
Doit-on rechercher la présence de maladies concomitantes?
Oui. Si l’on considère que le chat est une espèce très peu sensible, la survenue d’une clinique de leishmaniose suppose donc des facteurs favorisants qu’il convient de rechercher pour améliorer la réponse au traitement. Toute maladie qui interfère directement ou indirectement avec des défenses immunitaires ou plus généralement la santé générale de l’animal peut donc être recherchée: FeLV, FIV, maladies systémiques bactériennes, fongiques ou parasitaires, maladies métaboliques, néoplasies,etc.
Y a-t-il des pièges diagnostiques à connaître?
Les nodules doivent être différenciés des causes infectieuses: mycoses profondes (plus fréquentes chez le chat que chez le chien), granulomes bactériens (y compris mycobactéries), néoplasies et l’ensemble des maladies citées précédemment qui peuvent entraîner des signes cliniques similaires. Beaucoup de ces pièges diagnostiques s’accompagnent aussi de polyadénomégalie. En outre, lors de maladie intercurrente, il faut déterminer leur rôle respectif, la leishmaniose n’étant parfois que sous-jacente et non responsable de la clinique.
Les pièges, comme chez le chien, se trouvent aussi dans des interprétations erronées des examens de laboratoire conduisant à des faux positifs ou négatifs. L’examen histopathologique de routine discerne mal Leishmania et Histoplasma. Les conclusions des techniques moléculaires peuvent être faussem*nt négatives si le prélèvement ne contient pas d’ADN leishmanien, ou au contraire faussem*nt positives, si un chat infecté asymptomatique par Leishmania souffre en réalité d’une autre maladie. De même, la sérologie peut être faussem*nt négative (ELISA pour les valeurs faibles) ou faussem*nt interprété comme négative (faibles titres en IFI) car les titres chez le chat sont plus faibles que chez le chien.
Le chat peut-il jouer un rôle de réservoir?
Oui, un chat infecté peut jouer un rôle de réservoir domestique additionnel de L. infantum. L’importance épidémiologique réelle de ce rôle n’est pas encore établie.
Faut-il améliorer la prévention?
Probablement, mais souvenons-nous que les chats sont rarement malades. Il s’agit donc surtout de prévenir une infection latente. La prévention se justifie dans les zones de forte endémicité oùles chats infectés peuvent contribuer au réservoir animal. Dès lors, prévenir leur infection, c’est empêcher qu’ils soient secondairement sources. Un seul insecticide est utilisable avec l’avantage d’empêcher également que, sur un chat déjà infecté, il y ait risque de transmission au vecteur.
- 1. https://bit.ly/3hORzq7
Pour aller plus loin:
- - le congrès ALIVE (pour Animal leshmaniosis international veterinary event) se déroulera du 31mars au 2avril 2022 (https://www.leishvet-alive.com/).